L’APPEL AU DONNÉ
Jeudi 15 mai (9h - 18h15)
Session Néokantismes continentaux et analytiques
9h-10h : Fabien MIKOL (Université de Paris Sorbonne, SND-FRE3593), Le donné et le scepticisme : accords et désaccords entre Schlick et Cassirer.
10h-11h : Ursula RENZ (Professor of philosophy of the University of Klagenfurt and Senior Humboldt-Fellow at the University of Konstanz), Le mythe du donné de Cohen à Sellars.
11h15-12h15 : Aude BANDINI (Université du Québec à Montréal/GRIN), Entre pragmatisme et post-kantisme analytique : C. I. Lewis et le donné perceptuel.
Session Phénoménologie
14h00-15h00 : Charlotte GAUVRY (Université de Liège, Marie Curie COFUND), Le donné sensible et suprasensible chez Emil Lask.
15h00- 16h00 : Pierre-Jean RENAUDIE (FCT-Universidade do Porto), Le mythe de la donation : réflexions sur la matière du donné.
16h15-17h15 : Laurent PERREAU (Université de Picardie Jules Verne, Archives Husserl), Le donné peut-il être pré-donné ?
17h15- 18h15 : Jeanne-Marie ROUX (Université de Paris I, EXeCO), L’accord sensible du "donné" et de l’"évoqué". Le lexique du donné dans la *Phénoménologie de la perception. *
Vendredi 16 mai (9h-12h)
9h-10h : Claire ETCHEGARAY (Université de Paris Ouest Nanterre, IREPH), Les premiers principes chez Thomas Reid : un donné de "notre constitution naturelle".
10h-11h : Claudia SERBAN (Université Paris Sorbonne/ Fondation Thiers), Le donné comme exigence dans la *Critique de la raison pure*.
11h00-12h00 : Carole MAIGNÉ (Université Paris Sorbonne/Archives Husserl), ‘L’autorité du donné’ : réalisme de l’expérience et formalisme esthétique chez Herbart
Abstracts :*
Fabien Mikol : Le donné et le scepticisme : accords et désaccords entre
Schlick et Cassirer.
Le statut de l’intuition et du donné a suscité une attention soutenue tant dans la théorie générale de la connaissance de Schlick que dans celle de Cassirer. Dans la première partie de l’exposé je m’attacherai à souligner leur proximité étroite dans la manière d’articuler ce statut avec la question du scepticisme, laquelle se voit attribuer une importance majeure dans leur épistémologie. Dans la seconde partie, je montrerai au contraire combien leurs réponses à cette question divergent considérablement, malgré ce souci commun de répliquer à un scepticisme se prévalant d’un statut privilégié du donné. Je tenterai enfin d’esquisser comment cette articulation entre les points de convergence et de divergence qu’entretiennent Schlick et Cassirer pourrait offrir un certain angle de compréhension de la rupture entre les traditions dites "analytique" et "continentale".
Aude Bandini : Entre pragmatisme et post-kantisme analytique : C. I. Lewis
et le donné perceptuel.
L’enquête généalogique concernant le concept de donné à laquelle ce cycle de conférences est consacré a le singulier mérite de nous inviter à mesurer l’amplitude et la variété de l’héritage kantien sans souci des frontières, tel qu’il a pu se développer – presque simultanément – aussi bien sur le Continent que dans les îles Britanniques et aux États-Unis. C’est à sa déclinaison américaine, et plus proprement pragmatiste que s’intéressera cette communication, au travers de la figure de Clarence Irving Lewis. La thèse selon laquelle il existerait ainsi une forme de « pragmatisme kantien » est naturellement provocante, mais l’étude des textes de Lewis (Mind and the World Order [1929] ; An Analysis of Knowledge and Valuation [1946]) que je propose nous montrera, je l’espère, quel sens il faut lui assigner, et ce qu’elle nous permet de comprendre du rôle complexe – si ce n’est conflictuel – qu’a joué la notion épistémique de donné dans le pragmatisme classique et qu’elle joue encore dans le néo-pragmastisme contemporain.
Charlotte Gauvry : Le donné sensible et suprasensible chez Emil Lask.
Au sein du néokantisme de Bade qui exerce une forte influence sur la scène philosophique allemande du tournant du XXe siècle, la position d’Emil Lask présente un caractère profondément original en ceci qu’elle introduit l’hypothèse que la sphère du sens, loin d’être exclusivement formelle, est toujours une interpénétration de forme et de matière, son matériau restant toujours impénétrable à la forme. Lask accorde de fait toute attention, dans *La* *Logique de la philosophie et la doctrine des catégories*, à ce qu’il caractérise comme « ce qui n’est que matériau, matériau originaire, matériau premier, simple “substrat” (*Stoff*), simple “matière”, “protéhylé” ». De là, il est tentant de déduire qu’il accorde une place de choix à qu’il appelle lui-même la « donnée » (*Gegebenheit*) du « matériau irrationnel ».
C’est cette hypothèse que nous souhaitons examiner en accordant une attention toute particulière au « lexique » déployé par Lask pour caractériser ce matériau. Il est notable que le philosophe distingue soigneusement les concepts d’ « alogique » (*alogisch*), de « logiquement nu » (*logisch-nackt*) et d’ « irrationnel » (*irrational*) dans son œuvre.
Lask soutient en effet que peut être considéré comme un « matériau logiquement nu », non pas seulement le sensible (matériau alogique), mais aussi toute forme qui prend la fonction de « matière » sous une catégorie réflexive. En conséquence, il est conduit à qualifier du nom de « matière » un matériau suprasensible. C’est ce mouvement que nous analyserons, notamment pour examiner s’il suffit qu’un matériau soit « logiquement nu » pour être considéré comme « donné ».
Pierre-Jean Renaudie : Le mythe de la donation : réflexions sur la matière
du donné
On considère souvent que la percée de la phénoménologie la soustrait au type de difficultés décrites par Sellars et caractéristiques de la "mythologie" du donné. La phénoménologie permettrait de dépasser une conception naïve du donné en recentrant l’analyse sur l’apparaître même du phénomène et permettant ainsi de remonter du donné à la donation en tant que telle des phénomènes. Cet exposé se propose d’examiner la légitimité de ce diagnostic en essayant de déterminer précisément ce qui, dans la percée phénoménologique accomplie par Husserl, contribue à renouveler une conception du donné héritée de l’empirisme. Je voudrais essayer de défendre l’idée selon laquelle, loin de rendre caduque la notion de « donné », la phénoménologie qui voit le jour dans les *Recherches Logiques* de Husserl permet de la conserver en lui donnant un sens plus riche, et en la repensant du point de vue de sa relation avec la *matière* des phénomènes.
Laurent Perreau : Le donné peut-il être pré-donné ?
Si la question du sens qu’il faut assigner à ce que Husserl appelle « donation » (Gegebenheit) a souvent été débattue, on a accordé beaucoup moins d’attention au concept de « prédonation » (Vorgegebenheit), pourtant central dans la philosophie du dernier Husserl. Sous cette rubrique, il s’agit pour lui de penser le « déjà-là » de l’expérience, ainsi qu’un rapport au monde tenu pour immédiatement valide. On s’interrogera sur les motifs qui ont conduit Husserl à promouvoir ce concept singulier. On discutera également de sa pertinence : faut-il y voir une nouvelle version du « mythe du donné » ?
Jeanne-Marie Roux : L’accord sensible du "donné" et de l’"évoqué". Le
lexique du donné dans *La Phénoménologie de la perception*.
La phénoménologie de Merleau-Ponty a la caractéristique de conserver l’idée d’un « sens immanent au perçu », qualifié par lui de « donné » alors même qu’elle affirme clairement par ailleurs que l’ordre de la perception n’est pas celui du jugement (ce qui constitue la base de l’interdit sellarsien semblant ainsi, à première vue du moins, pris à son compte par le phénoménologue français) : le concept de « donné » est pensé par Merleau-Ponty, en débat explicite avec Kant, les empiristes et, bien sûr, Husserl, contre celui de « constitué » mais en lien avec le concept d’« évoqué ». Cet exposé entreprendra d’analyser l’entente polémique (et à ce titre éminemment problématique) du concept de « donné » déployé dans *La phénoménologie de la perception*, l’ambition étant de montrer qu’elle manifeste un diagnostic critique propre à Merleau-Ponty, dont nous tâcherons de mesurer la proximité – et la différence – avec la critique sellarsienne, dont nous userons ici essentiellement comme d’un point de comparaison."
Claire Etchegaray : Les premiers principes chez Thomas Reid : un donné de
"notre constitution naturelle“
Selon Thomas Reid, la faculté de discerner « l’évidence par soi », qui porte le nom de « sens commun », est un donné de notre constitution naturelle, laquelle est créature de Dieu. Le paradoxe est qu’il prétend par ce donné accéder à une évidence *par soi*, tout en référant à la véracité divine comme à une raison justifiant la fiabilité de nos facultés naturelles. En réalité, chez Reid, la véracité divine, quoique n’étant pas le fondement de nos croyances naturelles, sert d’assistance au philosophe pour décrire l’évidence *comme évidence* c’est-à-dire comme une norme épistémique et non seulement comme un effet psychologique. Pour ce faire, il faut dégager les principes « tenus pour admis » (*taken for granted*), dont la *vérité* est sincèrement incontestable parce que nos opérations mentales même attestent qu’il est impossible de ne pas la reconnaître. *Stricto sensu*, le qualificatif "inné" ne s’applique que malaisément aux croyances du sens commun chez Reid. Ce qui s’atteste dans la pratique mentale, en tant que fait de nature, c’est l’impossibilité de ne pas tenir *leur vérité*pour admise. Le sens commun est un donné naturel en tant qu’il est le discernement de la vérité que même le sceptique ne peut sincèrement pas se
refuser à lui-même. Mais est-il l’intuition *d’objets premiers* au sens métaphysique (tels le moi pensant, les choses ou substances réelles, etc.) ?
Pour répondre, nous considérerons la théorie reidienne du raisonnement.
Le donné présupposé par tout raisonnement n’est pas tant un ensemble d’objets premiers, que des types d’évidence par soi. Le prolongement de ce point chez le disciple de Reid, Dugald Stewart permettra de confirmer ce point : prétendant être plus fidèle à l’inspiration de Reid que Reid lui-même, Dugald Stewart lève une ambiguïté présente dans l’usage de l’expression « premiers principes » entre *data* et *vincula*, à la faveur d’une attention plus grande encore à la culture de l’esprit.
Claudia Serban : Le donné comme exigence dans la *Critique de la raison
pure*.
La présence du donné comme exigence traverse la *Critique de la raison pure*, de l’Esthétique à la Dialectique transcendantale. Dans cette communication, nous analyserons le sens, la portée et les conséquences de cette exigence, qui tient non seulement au rôle de la sensibilité à l’intérieur du dispositif critique, mais aussi à la manière dont l’expérience est érigée en instance unique de la réalité objective de la connaissance.
Carole Maigné : L’autorité du donné, réalisme de l’expérience et formalisme
esthétique chez Herbart.
Nous concentrerons notre propos sur la critique de l’esthétique transcendantale de Kant que propose Herbart afin de dégager ce qui a pu nourrir son "réalisme rigoureux", un réalisme qui signe sa rupture avec l’idéalisme allemand. Nous nous attacherons tout particulière à dégager les enjeux esthétiques de cette critique, afin de cerner en quoi son réalisme de l’expérience fonde un formalisme esthétique original.